Le récit de la mer by Odyssea
De nombreux paysages, ont été façonnés en partie, par des actions humaines passées, qui représentent un héritage culturel précieux, un lien avec les expériences humaines, enrichissant notre appréciation des paysages, comme sources de beauté et marqueurs d'identité.
Le fleuve Sinnamary qui coule à nos pieds, en est un témoin privilégié. Assis au bord de l'eau, vous voilà au croisement de sentiments diamétralement opposés. C'est d'abord l'immuabilité des choses qui vous étreint. Le fleuve, avec les courbes paresseuses qui s'étalent sous vos yeux, semble fixé depuis la nuit des temps. La voie d'eau s'insinue dans la forêt tropicale partout présente alentour. Elle la pénètre, l'entoure, quasi amoureusement. C'est le domaine des criques et des pripris que l'on devine au loin.
C'est sur ces rives, que se sont succédées les différentes sociétés humaines qui s'y sont impliquées, aménageant ce bassin de vie sans quasi le dénaturer. Pourtant, les changements ont été nombreux, mais imperceptibles à l'œil du voyageur que vous êtes. En contemplant ce paysage apaisant, vous avez l'impression que c'est celui du début du monde.
En même temps, en suivant des yeux le courant, en admirant la dextérité des piroguiers sur le fleuve où le ballet des bateaux de pêche revenant à quai, votre esprit court vers des ailleurs, des voyages extraordinaires et toutes les histoires des hommes.
Une vie bouillonnante s'inscrit ici à la croisée de toutes les époques charnières de l'Histoire de la Guyane. Le fleuve Sinnamary comme tous les grands fleuves de Guyane, manifeste une telle puissance qu'il en devient merveilleux. C'est d'ailleurs dans les hautes terres des fleuves que la légende place longtemps l'El Dorado, le royaume fabuleux d'un homme dont la peau était d'or, vivant dans la cité de Manoa, et qui n'hésitait pas à sacrifier ses richesses en les jetant au centre du lac fantasmé de Parime dont le fond était, parait-il, tapissé de pierreries.
Ce mythe a fait courir bien des hommes depuis. Les conquistadors espagnols et portugais, qui portent dans leur nom même l'essence de cette quête fabuleuse, les marchands normands qui tentent de s'implanter sur les berges de la rivière Sinnamary dès le début du 17ème siècle sous l'égide de la nouvelle compagnie du cap Nord, les aventuriers de tous poils dont le père de Madame de Maintenon qui dit-on s'en vint aux Amériques chercher fortune et emmena avec lui femme et enfant (certaines prétendent même que la future épouse morganatique du roi Louis XIV serait née à Sinnamary ce qui vaut au pont actuel de porter ce nom célèbre), les équipages flibustiers et pirates qui font régulièrement relâchent le long des côtes, puis les colons à la fin du XVIIIème siècle, puis les colons à la fin du XVIIIème siècle,
Seuls les missionnaires de la puissante Compagnie de Jésus, venus sauver les âmes perdues des amérindiens et des esclaves amenés depuis les côtes d'Afrique pour travailler dans les nouvelles plantations, ne répondent pas à cette quête absolue. D'autres motivations portent les jésuites venus en Guyane non pour augmenter le prestige et le commerce de la France mais pour apporter le salut. Ils installent à Sinnamary une mission fixe, décrite comme un havre de paix où les réfugiés suivent les règles librement consenties (sans préciser que le bras séculier veille au grain et soumet la vie familiale des néophytes à un encadrement des plus stricts).
Les amérindiens ignorent également les sirènes de l'Eldorado. Eux qui sont les premiers habitants des lieux, pourchassés par les arrivants successifs, et malgré de nombreux combats, s'effacent peu à peu du paysage. Seule la présence de nombreux palmiers, de diverses espèces d'ananas sauvages qui donnent des fruits comestibles et d'autres espèces arbustives caractéristiques des jardins amérindiens, ainsi que les vestiges archéologiques récemment découverts signent la présence de ces agriculteurs - pêcheurs sur les terres du fleuve Sinnamary, à la limite de la plaine côtière littorale et des Savanes.
Votre regard sur les berges du Sinnamary, et tous les « récits des hommes qui ont cette ville sur l'eau », caractérisent à ce paysage, un statut de monument doté d'une valeur bio-culturelle bâtie exceptionnelle, la clef de découverte d 'un archipel semi-aquatique unique.